Toulouse. Policier en civil tué devant une boîte de nuit : des zones d’ombre à éclaircir

Toulouse. Policier en civil tué devant une boîte de nuit : des zones d’ombre à éclaircir

Dans la nuit de vendredi 19 à samedi 20 juillet 2019, un policier en civil a été tué devant une discothèque de Toulouse. Depuis, les versions divergent sur ce qu’il s’est passé.

Plusieurs zones d'ombre restent à éclaircir dans l'affaire du policier en civil tué devant une discothèque à Sesquières
Plusieurs zones d’ombre restent à éclaircir dans l’affaire du policier en civil tué devant une discothèque à Sesquières (©Archives Actu Toulouse)

Dans la nuit du vendredi 19 au samedi 20 juillet 2019, un policier de la Brigade spécialisée de terrain (BST) nord a été tué devant une discothèque de Sesquières à Toulouse.

Le policier, Benjamin Quiles, âgé de 35 ans, n’était pas en service quand il a été l’objet d’une violente agression sur le parking de la boîte de nuit. Une agression qui lui a été fatale et dont le procureur de la République, Dominique Alzeari, a précisé les circonstances lundi 22 juillet 2019. Une agression d’une « violence extrême » selon le procureur.

Un motif de départ de la dispute anodin

Lors de sa communication, le procureur a précisé les circonstances du drame :

L’agresseur principal âgé de 30 ans se plaint de la lenteur du service et remonte la file. Il commence à agresser verbalement la vendeuse. Le policier qui n’est pas en service lui dit de se calmer. L’agresseur va à sa voiture et tente de prendre quelque chose dans son coffre. Benjamin Quiles qui, a sans doute pressenti que l’affaire pouvait dégénérer, et dans un souci de protéger les personnes présentes sur place, a suivi l’individu. Il s’approche du véhicule et ferme le coffre que vient d’ouvrir l’homme particulièrement énervé. Ce dernier lui assène alors deux très violents coups de poing. Benjamin Quiles reçoit alors plusieurs coups-de-poing et de pieds extrêmement violents…

Des coups qui ont été fatals à la victime.

Cette version des faits est aujourd’hui remise en cause par les avocats du mis en cause, Me Simon Cohen et Me Tristana Soulié, qui dénoncent une présentation des faits « partielle » de la part du Procureur et estiment qu’une requalification des faits serait plus juste. Voici leur version de l’affaire.

Deux versions des faits : qui a raison  ?

Lundi, le procureur avait présenté une version assez limpide de ce fait-divers. Le policier en civil serait intervenu pour calmer un individu énervé par le temps d’attente à un food-truck devant la boîte de nuit. Il aurait ensuite suivi l’individu jusqu’à un véhicule. Inquiet de voir cet individu ouvrir son coffre pour éventuellement y prendre une arme, il aurait fermé ce coffre. C’est alors qu’il aurait reçu les coups mortels.

« C’est un décès injuste, dramatique pour une personne qui a agi avec la volonté de protéger les individus sur place », concluait Dominique Alzeari lundi.

Selon Me Cohen, la chronologie des faits ne serait pas aussi limpide et les éléments retranscrits dans le dossier ne dédouaneraient pas totalement le policier en civil :

Les témoignages permettent de penser que lui et son collègue ont bu entièrement une bouteille de whisky puis en ont consommé en grande partie une deuxième. Nous sommes donc en présence de deux personnes prises de boisson. A quel titre cette personne alcoolisée est intervenue ? Pourquoi a-t-elle ensuite suivi la personne mise en examen jusqu’à un véhicule alors que cette personne rejoignait ce véhicule pour partir ? Qui peut dire  que mon client allait chercher dans le coffre de ce véhicule un objet pouvant mettre à mal la sécurité des personnes présentes sur ce parking ? Les témoins de la scène disent que notre client a été poussé plusieurs fois et projeté au sol avant de donner les coups cités. Des poussettes dont médecin légiste a lui-même pu constater les stigmates sur le corps de notre client.

« Il y a un manque de transparence dans cette affaire »

Selon la défense, Benjamin Quiles serait bien venu pour calmer le mis en examen mais aurait lui-même participé, par son comportement agressif, à faire dégénérer la situation.

Ce n’est pas parce que c’était un policier apprécié qu’il n’a pas pu agir ainsi. Pour nous, il y a un manque de transparence dans cette affaire. Les faits tels qu’ils ont été présentés passent sous silence le début de l’affaire et l’attitude de la victime, ajoute Me Soulié.

Le mis en examen a-t-il eu la volonté de donner la mort ?

Le mis en examen a-t-il eu la volonté de donner la mort ? C’est aujourd’hui la question de fond sur laquelle la justice va devoir faire la lumière. Suite aux faits tragiques évoqués, le procureur de la République a en effet poursuivi l’agresseur pour « homicide volontaire ». À ce stade de l’enquête, « il n’apparaît pas que la profession de Benjamin Quiles était connue par les auteurs de l’agression » , a néanmoins ajouté Dominique Alzeari.

Les avocats du mis en cause s’inscrivent en faux et estiment qu’il aurait donc été préférable de retenir pour la mise en examen la qualification de « violences volontaires ayant entraînés la mort sans intention de la donner ».

« Notre client, qui ne connaissait pas la victime ni sa qualité de policier, Il n’a d’ailleurs appris son décès qu’après son interpellation.  Il regrette profondément son geste », indique Me Soulié.

« J’espère que l’instruction permettra d’arriver à des conclusions raisonnables et fondées », indique Me Simon Cohen.

Cette affaire a-t-elle été traitée comme les autres affaires?

Suite aux informations parues dans la presse dès le week-end, l’affaire du décès de ce policier en civil, dans le cadre d’une sortie privée, a engendré une communication immédiate du Procureur de la République.

Dans sa présentation de l’affaire aux médias, celui-ci a notamment mis en avant la qualité de policier de la victime, signifiant que dans cette affaire, la victime avait « agi en policier » avec le souci « de protéger les personnes présentes sur place au moment des faits.

Pour Me Soulié, « La qualité de policier de la victime est trop mise en avant dans ce dossier ».

« Le comportement d’un homme agressif »

Me Cohen appuie et se montre critique envers la version des faits présentée par le Procureur  :

« Pourquoi passer sous silence tout le comportement qui n’est pas celui d’un policier en fonction, mais celui d’un homme agressif sous l’emprise d’alcool ? Cela ne justifie pas cette mort, mais si c’était un policier qui était mis en cause pour de tels faits, pensez-vous que l’on aurait retenu d’emblée la qualification la plus haute ? », se demande l’avocat pénaliste toulousain.

Il poursuit :

Le procureur exprime l’opinion d’une partie dans le cadre d’un procès et, de fait, il est complètement libre de ces opinions et donc de faire des choix même si on attend qu’il fasse ces choix dans le but de défendre avant tout l’intérêt général. C’est désormais aux autres parties de discuter les choix effectués et cela sera au juge d’instruction, impartial, de discuter ces mêmes choix. Ce que je note à ce stade de l’affaire, c’est que nous nous trouvons à mon avis dans un système judiciaire qui traite les individus en deux catégories : les citoyens et les sous-citoyens. Or, l’institution judiciaire devrait au contraire supprimer cette différence.

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